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« Ohé ! Ohé ! Vivent les Officiers de France ! »

Histoire et mémoire

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06/11/2023

Refrain emblématique du répertoire de l’École, Les Officiers de France constitue à lui seul un symbole de la mentalité Saint-cyrienne, entre panache chevaleresque et impertinence bravache. Bien loin d’un simple chant de banquet, il a joué, au fil des décennies, tantôt le rôle d’évocation potache du passé de la Spéciale, tantôt celui d’hymne politique.


Quelle célébration Saint-cyrienne, du 2S au Triomphe, peut s’enorgueillir de ne pas avoir retenti de l’entraînant refrain « Ohé ! Ohé ! Vivent les Officiers de France ! » ? Certes, la version encore entonnée de nos jours lors des retrouvailles entre bazars et anciens, et reprise par le colonel Titeux dans son Saint-Cyr et l’École spéciale militaire en France (1898) n’est en fait qu’une des nombreuses variantes s’étant succédées dans le répertoire l’École depuis le Second Empire. Si le couplet consacré à la traditionnelle revue du dimanche à Versailles trouve ses origines dans une pratique courante dès la Restauration, d’autres, plus irrévérencieux, semblent constituer des ajouts ultérieurs, renvoyant aux turbulentes sorties galettes, octroyées plus fréquemment à partir des années 1840, et synonymes d’excès en tout genre dans les cabarets voisins. Il est pourtant un passage dont la portée historique à peine voilée échappe bien souvent au chanteur dilettante : « Sur le fort de Montrouge / Les canons sont braqués, Sacredié ! / Et si les pékins bougent / On leur fera crier : Ohé ! Ohé !... » Cette référence pour le moins sibylline au petit fort de style Haxo, établi à Arcueil comme maillon de l’enceinte fortifiée de Thiers (1843-1845), a de quoi étonner tout féru d’histoire de l’École : aucun Saint-cyrien n’a en effet jamais eu à braquer le canon sur l’ouvrage ! Systématiquement tenus à l’écart des combats contre la Commune, les bouillants élèves officiers n’ont-ils pu tout au plus côtoyer les anciens pékins insurgés que lors du parcage de centaines d’entre eux dans les manèges de la Spéciale. L’évocation précède d’ailleurs de plusieurs années les évènements de la Guerre franco-prussienne, puisqu’on la retrouve déjà dans une version du chant datée de la fin des années 1860 !

C’est en réalité du côté d’un autre évènement, bien réel celui-ci, qu’il faut sans doute aller chercher l’origine du belliqueux couplet : l’affaire du pont de Sèvres, survenue le 29 juillet 1830. Un demi-bataillon complet de Saint-cyriens et sa batterie de campagne, positionnés à cet endroit afin de barrer aux insurgés la route de Saint-Cloud où s’était repliée la famille royale, y firent bonne contenance en repoussant une tentative des révolutionnaires, à la tête desquels on devait pouvoir distinguer... quelques Polytechniciens ! Le couplet du fort de Montrouge ne serait ainsi que la réminiscence romancée de cet affrontement fratricide, fondamental dans l’imaginaire de l’École puisqu’il vaudra à la Spéciale la méfiance du régime orléaniste durant les premières années de la Monarchie de Juillet.

 

Outre sa portée historique, c’est surtout par son caractère proprement traditionnel que Les Officiers de France a rejoint, dès le dernier quart du XIXe siècle, La Galette et le Pékin de Bahut au panthéon de l’imaginaire saint-cyrien. Volontairement provocateur, le chant est alors l’un des refrains favoris du monôme des cornichons, chahut festif rassemblant chaque année dans le Quartier latin des centaines de candidats au concours d’entrée, depuis la rue Soufflot jusqu’à la place de la Concorde. C’est pourtant bien loin des hauts murs de l’École que le chant va changer de dimension, gagnant une aura que ses premiers compositeurs n’avaient sans doute jamais imaginé.

Dans le contexte troublé de l’après-1870, notamment après la crise boulangiste puis l’affaire Dreyfus, le vieil air bravache revêt en effet très vite les apparences d’un véritable hymne partisan. Déjà en novembre 1867, le socialiste Jules Vallès ironisait dans son journal La Rue : « Souvenez pourtant, Messieurs de Saint-Cyr : en 1830, le pékin bougeait, tandis que la duchesse d’Angoulême vous haranguait à Saint-Cloud. L’avez-vous guère empêché de bouger ? » Pour les anti-militaristes de tout poil, la chanson devient dès lors le symbole revendiqué d’un « esprit officier » réactionnaire et brutal, hostile à la jeune République laïque et méprisant du pékin, c’est-à-dire du petit peuple. Aussi la presse de gauche s’en donne-t-elle dès lors à cœur joie de recopier les couplets les plus controversés, comme le dreyfusard radical Urbain Gohier qui, dans les colonnes de L’Aurore et de La Lanterne, en fait l’illustration de sordides faits divers impliquant des chefs militaires. A l’inverse, pour les plus chauds partisans de l’Armée, c’est à qui chantera le plus fort le refrain tant décrié : le magazine satirique boulangiste et antidreyfusard La Silhouette, l’invoque ainsi pour tourner en ridicule le ministre radical Guyot, accusé de pratiquer assidûment le caméléonisme politique et de crier, tel la chauve-souris de la fable de La Fontaine, « suivant le temps : "Vive le Roy !" ou "Vive la Ligue !"… "Vive Dreyfus" ou "Vivent les officiers de France ! "(...)». Le déclenchement de la Première guerre mondiale et l’affaiblissement du courant antimilitariste renverra finalement le refrain dans le strict cadre traditionnel où il avait vu le jour.


Dix-sept décennies après son apparition, le chant des Officiers de France a il est vrai quelque peu changé : l’air n’est plus le même que sous le Second Empire, et certains couplets sont tombés en désuétude. Il n’a pour autant pas perdu toute sa verve : on y a même ajouté, après guerre, une nouvelle strophe évoquant le déménagement de Saint-Cyr dans la « lande bretonne », où « le monde s’étonne d’entendre encore chanter » les élèves d’une École qui a bien failli disparaître avec ses traditions. Puisse donc Madame la Gloire veiller à ce que pour longtemps encore retentisse le refrain : « Ohé! Ohé ! Vivent les officiers de France ! »


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