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La promotion perdue de Pharsale

Histoire et mémoire

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21/11/2023

Promotion du Firmament, Promotion Jeanne d'Arc, Promotion de la Croix-du-Drapeau, Promotion Nouveau Bahut... Ces promotions illustres voient leur nom raisonner encore avec panache dans l'imaginaire de l'Ecole. Il en est pourtant une dont le patronyme n'évoque rien aux oreilles modernes, celui de « Promotion de Pharsale », et pour cause, la promotion en question n'a pour ainsi dire jamais existé ! Il nous faut remonter à l'une des périodes les plus troublés de l'Histoire de la Spéciale, au début de la Troisième république, pour trouver les origines de ce qui , à défaut d'être une promotion sans nom, fut « un nom sans promotion ». 

Saint-Cyr face à la République radicale

La naissance de la promotion de Pharsale intervient dans un contexte particulier,  au sortir de la guerre de 1870-71. A cette époque, Saint-Cyr est une institution en pleine effervescence, qui voit revenir ses jeunes élèves-officiers pour la plupart déjà vétérans des champs de bataille : en vertu d'un décret du Ministre de la Guerre Courtot de Cissey, les élèves de la  Promotion du 14 août 1870 (1869-1870), nommés sous-lieutenants après moins d’un an de scolarité, ont en effet du revenir à l'École afin d'y suivre un stage complémentaire, d'octobre 1871 à février de l'année suivante. En parallèle, les élèves admissibles au concours de 1870 n'ayant pas pu rejoindre l'Ecole en raison du conflit sont amalgamés à quelques sous-officiers sortis du rang, au sein de l'éphémère Promotion d'Alsace-Lorraine (1872-73). Un retour difficile à la Pompe et au Bataillon, émaillé par une résurgence des chahuts traditionnels, notamment dans le tout nouveau train reliant l'Ecole à Paris, comme le raconte dans ses mémoires le général Henrion, nouveau commandant de l'établissement.

Surtout, Saint-Cyr reste, sur le plan idéologique, confrontée au défi de ce que l'historien Xavier Boniface a qualifié avec justesse d'« impossible apolitisme ». Partagé entre héritage impérial et persistance des réseaux légitimistes et républicains en son sein, le creuset des officiers de France est  en effet l'une des cibles prioritaires des mesures de reprise en main prises par la nouvelle République radicale, confortée par la démission du président conservateur Mac-Mahon et l'élection de l'anticlérical Jules Grévy (janvier 1879). Léon Gambetta, nouveau Ministre de la Guerre, s'attèle quant à lui à une vaste entreprise de fichage des officiers en fonction de leur orientation politique.

Le scandale de la Saint-Henri : épaulettes de laine contre épaulettes d'or

Le 3 septembre 1880 éclate l'affaire de la Saint-Henri ; comme en février 1831, c'est à l'occasion d'une messe légitimiste que plusieurs Saint-Cyriens sont aperçus prenant part à l'office. Et comme cinq décennies plus tôt, la réaction du commandement de l'Ecole ne se fait pas attendre : 34 élèves-officiers sont renvoyés comme simples soldats dans des régiments de ligne. Mais cette fois-ci, la presse conservatrice s'empare de l'évènement  et se passionne pour le sort des jeunes fruits secs* ; le polémiste Alfred Rastoul s'insurge, dans les colonnes du journal catholique L'Univers, contre la sévérité soudaine des autorités militaires et politiques : « (...) cette belle préoccupation pour la discipline vient trop tard ; ce n’est pas quand on a glorifié les Boichot et les Rattier, réintégré les Matuscewicz et les Brissy, qu’on peut invoque les droits de la discipline contre des jeunes gens qui sont tout au plus coupables d’une légèreté ». Que dire en effet des honneurs nationaux accordés aux anciens sergents mutins François Edmond Rattier et Jean-Baptiste Boichot, devenus députés à l'Assemblée de 1849, ou encore de la mansuétude accordée au grand ancien de Saint-Cyr Lubomir Matuszewicz (1837-1884), jadis élève de la Promotion de Crimée-Sébastopol (1854-56), gracié après sa participation à la Commune de Paris ?

Mais c'est à Henri Desgrées du Loû, lui-même ancien élève de la Promotion de l’Empire (1852-54) et dont le fils Xavier (1860-1915), redoublant de la Promotion des Zoulous (1878-80), fait partie des condamnés, que reviennent les déclarations les plus fracassantes. Loin de faire amende honorable, c'est au contraire à un véritable plaidoyer que celui-ci se livre dans les pages de L'Univers : « C’est bien toujours le Saint-Cyr d’autrefois, et nos fils n’ont pas dégénéré. Ils porteront l’épaulette de laine, au lieu de l’épaulette d’or ; ce qui importe, c’est qu’elle soit tissue d’honneur ! » Passe d'arme bravache n'apaisant en rien la situation à la Spéciale, la subversion partisane faisant irruption jusque dans les activités traditionnelles : le 30 juin 1884, à l'occasion des festivités du demi-tour, deux élèves royalistes poussent la provocation jusqu'à remplacer le pavillon tricolore flottant sur les toits de la Spécial par un drapeau blanc ! Les coupables, Marie Oger de Mauléon de Bruyères, de la Promotion des Pavillons Noirs (1882-84) et son bazar Allary, de celle de Madagascar (1883-85) sont immédiatement renvoyés. Quant aux limogés de 1880, ils resteront dans les mémoires de leurs camarades comme la « promotion de Pharsale  », clin d'œil cabotin à la bataille ayant signifié la fins des espoirs de la vieille République romaine face à un César conquérant. 

Tout les chemins mènent à la Gloire

L’affaire de la Saint-Henri, si elle a marqué les esprits à Saint-Cyr comme au dehors, eut en réalité peu d’impact sur les élèves eux-mêmes, réintégrés pour la plupart le 5 janvier 1882 : les anciens de la promotion des Zoulous et de celle des Pavillons-Noirs sortiront après seulement un an, avec leurs petits petits bazars de la promotion d’Egypte (1881-83), tandis que ceux de la promotion des Kroumirs (1880-82) devront attendre jusqu’en octobre 1883 pour accéder à l’épaulette. Nombreux seront ceux qui, parmi les Saint-Cyriens de cette période troublée, se couvriront de gloire au service de la patrie : Marie Oger de Mauléon de Bruyères, devenu officier en passant par l’Ecole de cavalerie de Saumur, fera ainsi une brillante carrière sous les armes, et terminera officier de la Légion d’honneur, tout comme les frères Geoffroy (1859-1928) et Robert de Lambily (1860-1933), tous deux renvoyés à la suite de l’affaire de la Saint-Henri. Quant à leur petit co' Xavier Marie Desgrées du Loû, il entrera dans l’Histoire en entraînant son régiment, le 65e d’infanterie, le 25 septembre 1915, à Mesnil-les-Hurlus : drapeau à la main, il sera tué lors de l’assaut d’une tranchée allemande, honorant la prédiction faite une quart de siècle plus tôt par son père !

 Duncan PROUX, promotion CES DE NEUCHEZE (2014-17)

* fruit sec est alors à Saint-Cyr le surnom donné à un officier n'ayant pas terminé sa scolarité

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