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A propos des nouvelles formes de la guerre - Le Casoar

Casoar

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21/10/2019

LE CASOAR

TRIBUNE


A PROPOS DES NOUVELLES FORMES DE LA GUERRE


Par le général Alain Boulnois – Promotion « De Linares » (1972-74)

Avec son livre Lit de cendres (prix littéraire 2019 de La Saint-Cyrienne), le capitaine Joseph Estoup fournit un témoignage prenant sur une période sombre pour lui, nos armées et même l’ensemble de notre pays ; période dont les cicatrices ne sont toujours pas totalement refermées et dont le souvenir a fortement imprégné les jeunes cyrards que nous étions dans les années soixante-dix. Mais en sus de sa contribution au devoir de mémoire, notre grand ancien pose la question de la formation reçue à Coëtquidan ; il ne s’est pas senti préparé par son passage à Saint-Cyr aux types de guerre qu’il a dû affronter. Cette interrogation majeure conduit naturellement à faire le lien avec le dossier consacré aux nouvelles formes de la guerre, telles qu’elles sont perçues plus de cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, et développé dans Le Casoar d’octobre de l’année dernière.


De la lecture de ce riche dossier plusieurs idées ressortent. 

En premier, le fait que du champ de bataille classique au cyberespace, en passant par la culture ou l’économie, aucun domaine n’échappe à la guerre. Cette constatation salutaire n’est cependant pas révolutionnaire. De même, les stratégies et les types de guerre qui en découlent n’ont pas fondamentalement évolué. La démonstration de force et la dissuasion remontent à l’Antiquité
(cf. si vis pacem, para bellum) ; Attila obtenait bon nombre de redditions de place forte par la seule terreur qu’il savait inspirer et les exemples de désinformation et de manipulation des esprits sont nombreux. Les nouveautés proviennent pour l’essentiel de l’émergence de technologies nouvelles et de "l’accélération du temps" qu’elles engendrent.

En second, la "déspécification" de la guerre évoquée par Jeangène Vilmer, rappelle que nous ne sommes jamais totalement en paix. Plus précisément, la situation à un moment donné se caractérise par le niveau et la nature des différents conflits (armés ou non) dans lesquels notre pays se trouve en permanence engagé.

Enfin, il est rappelé que la guerre ou plus généralement l’engagement des moyens militaires constitue avant tout un acte politique. Gagner la guerre sous-entend donc non seulement une volonté politique mais une grande constance dans cette volonté. Or, dans le système démocratique qui est le nôtre, les échéances électorales (on pourrait même évoquer les sondages) constituent autant de moments de vulnérabilité auxquels nombre de nos adversaires potentiels échappent.

©EMA

Ces deux dernières observations amènent à se pencher sur la nature profonde de la guerre et sur les causes qui la déclenchent.

Le terme de guerre en soi est porteur d’ambiguïté car il est loin de recouvrir tous les types d’engagement militaire (notamment sur le territoire national). Mais plus important, il n’a pas la même signification pour tous les belligérants. Pour le monde occidental, ce vocable s’accompagne de tout un corpus de règles regroupées sous l’appellation de droit des conflits armés. Cet ensemble de textes, très riche et complexe, s’efforce de donner des normes aux affrontements et surtout de les rendre plus humains. Cette utopie déforme la réalité cruelle et violente de la guerre en lui fournissant une sorte de code de chevalerie. Pour nombre de nos adversaires (on n’ose plus parler d’ennemis), la pratique de la guerre ne connaît pas de limite autre que celle de leurs moyens ; aucune règle ne saurait entraver leur volonté de parvenir à leurs fins. Il en découlera donc une dissymétrie morale ou au minimum culturelle particulièrement difficile à gérer pour les combattants de culture occidentale.

Concernant les causes, elles sont et resteront très diverses, voire innombrables. Néanmoins, en sus des écarts considérables de richesse, deux facteurs lourds de déséquilibre planétaire sont dès à présent identifiés : le réchauffement climatique et l’explosion démographique (tout particulièrement en Afrique). Les conséquences de ces deux phénomènes acculeront d’importantes masses humaines à combattre par tous les moyens pour leur survie.

La "dissymétrie morale" cumulée avec les grands déséquilibres mondiaux rendra les conflits futurs encore plus féroces que par le passé mais surtout ils placeront l’homme au centre de l’affrontement. Ces conflits poseront des dilemmes éthiques cruciaux, voire vitaux.

©EMA

Alors comment préparer nos jeunes officiers aux guerres futures ? 

Bien entendu, il faut continuer à développer leur expertise à mettre en œuvre les moyens les plus modernes. Sans le moindre doute, il faut toujours former des chefs exemplaires qui sauront gagner la confiance de leurs subordonnés et capables, le moment venu, d’entraîner leur équipe dans les circonstances les plus difficiles. 

Mais il importera de renforcer leur aptitude à faire face à l’imprévu. Cela concerne au premier chef ce qu’il est convenu d’appeler "l’intelligence de situation", afin de trouver une solution à des circonstances inhabituelles, voire inconnues. Mais, au-delà de la solution technique, il faut préparer nos cadres à trouver les réponses aux questions morales qui se poseront.

N’en doutons pas, les conflits d’éthique connus par Joseph Estoup (et par d’autres) n’appartiennent pas au passé. Bien que cela ne soit guère connu, les opérations extérieures ont posé quelques vrais cas de conscience aux conséquences parfois dramatiques. Les guerres futures en seront tristement riches et les délais pour les résoudre souvent très courts du fait de l’accélération technologique du temps.


Le droit exorbitant de pouvoir ordonner la mort a toujours réclamé des personnalités particulièrement solides et équilibrées. L’exercice de ce devoir deviendra encore plus exigeant dans les contextes mouvants et les cadres éthiques incertains des conflits à venir. 

Nos jeunes officiers doivent le savoir et il nous appartient de les aider à s’y préparer.


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